6 réponses sur “Une Histoire de Charlie”

  1. Émission passionnante, évidemment, mais assez étrange. Elle s’inscrit dans le contexte actuel, mais ne relate pratiquement que la partie Choron/Cavanna.

    Comment annoncer « une histoire de Charlie Hebdo », en passant aussi vite sur la période 1992/2015 (réduite au seul traitement de la campagne référendaire de 2005 par Val) ?
    Comment peut-on faire l’impasse sur les conditions de reprise du titre en 1992 ? Elles sont conditionnent pourtant la prise de pouvoir par Val et expliquent en partie le silence des « historiques » lorsque le journal va lentement dériver vers les prises de positions que l’on connait.
    L’autoritarisme de directeur a provoqué le départ des fortes têtes et personne à l’intérieur du journal ne s’est véritablement opposé au « patron », pourtant contesté en interne : Charb n’avait-il pas dit en 2008 – sans savoir qu’il était filmé – que Val était le patron mais qu’il était celui qui représentait le moins le journal ? Cavanna n’estimait-il pas lui-même que les « jeunes » du journal – Charb, Tignous, votre copain Luz – étaient « pleins de talents » mais avaient « les griffes rentrées » (cf : « Choron Dernière » de P. Carles et Martin) ?

    Aussi, à partir des attentats du 11/09/2001, jusqu’à la publication des caricatures de Mahomet et le cirque médiatique qui a suivi, l’orientation du journal s’en est trouvé bouleversée. La campagne référendaire de 2005, si elle est symptomatique, a je crois moins de conséquence. Personne n’a réellement infléchi la ligne (pas plus qu’il n’y a eu d’opposition au licenciement abusif de Siné).
    Après le départ de Val pour France Inter, je suppose que c’en était fini des délires sur « l’islamo-gauchisme » et la propagande pro-Israelienne à la sauce Val/Fourest/Vienner, mais le thème était toujours présent dans les dessins.

    Plus généralement, j’ai l’impression que vous nous livrez une vision fantasmée du journal, mais pas ce qu’il était vraiment depuis de nombreuses années.

  2. Oui Jean-Christophe,

    Tout cela est très vrai.
    Je me serais fait les mêmes remarques en tant qu’auditeur.

    Mais il fallait rappeler les fondamentaux de Charlie-Hara-Kiri.
    Rappeler ce qu’était la lugubre France coincée de 1960 à l’époque où il est né,
    d’où la forte présence de Choron-Cavanna dans l’émission.

    J’ai aussi oublié de parler de la façon odieuse dont Siné a été dégagé…
    Oublié de parler de l’islamophobie déguisée en humour de certains intervenants.
    A peine esquissé la présence méphitique de Caroline Fourest.

    Il y a aussi des trous dans ma version de l’Histoire,
    car je suis sous le choc d’un deuil que la bêtise ambiante ne m’a pas laissé le temps de porter.

    Mais après dix jours à fermer ma gueule pour laisser ce délire médiatique déferler, il fallait bien l’ouvrir un peu.
    Et péter un peu pendant cette messe consternante.
    D’où la présence insistante et blasphématoire de Choron dans l’émission.

    Et puis même si je ne l’ai pas acheté depuis 2005,
    il reste à Charlie des artistes extraordinaires que je sais intègres :
    Notamment Luz et Willem…

    Tu as tout à fait raison aussi de parler de « fantasme de Charlie ».
    En tant qu’enfant né en 69 de très jeunes parents,
    j’ai été élevé dans Charlie, Hara-Kiri, l’Echo des Savanes, Pilote…
    Cabu et Cavanna sont des oncles spirituels !

    Oui, je suis en deuil d’un « fantasme » de l’idée de gauche, la vraie.

    Jibédé – http://www.polemixetlavoixoff.com

  3. J’écrivais il y a quelques jours que je serais bien ’Charlie’ Mingus, mais il avait horreur qu’on l’appelle comme ça, et quand Mingus se mettait en colère…

    quant aux « je » : il faut aussi les comprendre pour ce qu’ils sont malheureusement.

    on peut dire « je suis x » avec n’importe quoi pour x, parce qu’importe aussi le « je » : des individus que caractérise leur position de sujet comme individus, des « monades » qui caractérisent l’individualité pour le capital, d’où découle l’individualisme de nos sociétés et l’idéologie dominant aujourd’hui

    ces individus, quelles que soient leurs idées en tant que tels, peuvent bien sûr se regrouper et agir en groupes, en masses ou en foules : une somme, une addition, du genre qui justement peut constituer un peuple de citoyens d’un Etat ou agir dans une société civile, bref tout ce qu’a expliqué Marx le jeune, comme constituant l’idéal de l’Etat pour le capital dont il fera plus tard la critique comme « économie politique »

    mais ces actions collectives, quelle que soit leur ampleur, ne prennent pas la caractéristique d’un combat de classe, elle ne sont pas de cette nature, et ici, on a le parfait exemple d’une mobilisation transclassiste (qui traverse les classes sociales), c’est-à-dire ce sur quoi s’appuie :

    1) l’appel à « l’unité nationale » (la France est Charlie), mais en tant qu’Union ni nationaliste ni anti-nationaliste (Le Pen a manifesté en Province), la manif ne visait pas un Etat u une nation ennemis…

    2) l’Union sacrée pour une guerre en fait inter-impérialiste de l’Occident capitaliste menacé de perdre sa suprématie face à la montée de la Chine et des pays émergents, l’enjeu étant la maîtrise des territoires en guerre[…]

    ceux qui tirent les ficelles des intégristes n’ont rien à foutre de l’Islam, ou seulement comme support à la folie armée contre l’Occident. Ils sont souvent dans la région les dirigeants amis de la France, ou leurs concurrents pour y créer un Etat, qui fera des affaires avec la France comme elle l’a toujours fait avec des dictatures

    « je suis Charlie » = « je suis contre la lutte de classes » que « je » le veuille ou non. Choisir c’est renoncer

    bref, ça donne aujourd’hui

    je suis Charlie = je suis la France comme nation de la liberté de rire de tout => je veux la guerre

    les Français ont été entendus en Afrique et au Pakistan, on ne peut pas dire qu’ils n’aient pas compris. Même des Chrétiens et des laïc manifestaient contre les caricatures, et contre la politique de la France : n’est-ce pas clair ?

    4 millions de numéro des survivants. Sondage 42% des Français pour continuer les caricatures Mahomet, 57% pour arrêter, mais 57 % aussi pour ne pas aller davantage faire la guerre dans ces pays, contradiction insurmontable de vouloir continuer ce qui est reçu comme une provocation. Non on en rajoute :

    Houellebecq (aux Inrocks le 14) : « Nous sommes réunis aujourd’hui pour défendre un “journal irresponsable” […] La liberté d’expression a le droit de jeter de l’huile sur le feu. La liberté d’expression n’est pas négociable. » On dirait du Hollande, pas mal pour l’« insoumis » qu’il dit être

    même chose au demeurant pour Charlie Hebdo, qui pouvait fort bien choisir de faire sa couverture de mercredi avec (contre) Netanyahu, Hollande, Sarkozy, Mélenchon, Laurent, le MRAP…, les curés imams et rabbins, les flics… Non, ils ont eu le « courage » de recommencer, ça rapporte plus, ça va faire vivre le journal de « l’insolence » française, et faire rigoler beaucoup de monde, avant que certains en crèves. Mort de rire, comme on dit. Hé bien MdR : je dis merde, ça suffit !

    reste plus qu’à attendre le prochain attentat et les marches pacifistes d’une bonne partie qui se sont fait rouler dans la farine, pour ne pas dire dans le sang de personnes innocentes, mais pas les dessinateurs qui ont fait ça. Alors qu’ils continuent, que des charlots les encouragent, et que des centaines d’innocents crèvent loin de « chez nous », y compris des Français.e.s. Ne soyons pas impatients. C’est pour très bientôt

    On met en dangers nos « ressortissants » pour légitimer d’envoyer un corps expéditionnaire les « protéger »

    merci Charlie

    je suis en colère, comme Charles Mingus 😉

    bonne nuit et bon courage

  4. Les récits du massacre de Charlie Hebdo par la presse anglo-saxonne dégageaient comme un étrange fumet, comme une puanteur inouïe d’autosatisfaction. Avant même que les douze corps fussent refroidis, le New Yorker publiait un sermon de Teju Cole, dans lequel il déclarait que “ces morts français, on ne va pas les pleurer”. Le refus de pleurer de Cole n’a aucun sens, lui qui s’égare tour à tour dans l’Inquisition, “l’histoire coloniale française”, les frappes US de drones sur le Pakistan, et un obscur théologien italien du XVIe siècle, avant de finir par faire une allusion aussi lâche qu’incohérente au fait que les défunts journalistes et caricaturistes l’avaient bien cherché.

    Il y a eu un peu partout dans la presse anglophone quantité de ces commentaires aussi puants qu’incohérents, où personne ne dit franchement se féliciter du malheur d’autrui, mais où chacun envoie clairement ce message.

    L’autocongratulation de Cole était presque nuancée, comparée à ce que vous pouviez trouver à la Gauche du Net. Jacobin, qui est réellement parfois un très bon journal, a décidé de publier un gros paquet encore plus agressif d’autosatisfaction incohérente sous la plume de Richard Seymour, dans lequel on trouve ce remarquable paragraphe expliquant, ou plutôt refusant d’essayer d’expliquer, la conviction de Seymour que Charlie Hebdo “est une publication franchement raciste” :

    « Je ne vais pas perdre de temps à argumenter sur ce point : je prends simplement pour acquis que la façon dont cette publication représente l’Islam est raciste. Si vous avez besoin d’être convaincu de cela, je vous suggère de faire votre propre recherche, en commençant par lire L’Orientalisme d’Edouard Saïd, ainsi que quelques textes de base d’introduction à l’islamophobie, avant de revenir dans la conversation. »

    Alors, vous sentez l’odeur ? Ça, les amis, c’est la puanteur de l’universitaire assoiffé de sang, c’est la bonne conscience de qui se retrouve si souvent parmi ceux qui craignent le café caféiné, mais se félicitent de vouer à une mort violente quiconque est condamné par ses auteurs favoris. Et sitôt ouverte la chasse à l’étudiant, sitôt déferlent les clichés : “Je ne vais pas perdre de temps à argumenter…”, “je prends simplement pour acquis…”, “je vous suggère de faire votre propre recherche…”.

    Et Seymour de commencer à fanfaronner et pérorer, sauf que ce qu’il dit n’a aucun sens. Un des meilleurs moyens de savoir quand quelqu’un n’a que d’absolues conneries à écrire, c’est quand il commence à faire son cinéma, comme un agent immobilier qui vous explique que la moisissure des murs dans la salle de bains, c’est de la peinture expressionniste, et vous traite de philistin si vous n’en percevez pas la valeur artistique.

    Le mieux qu’a trouvé à faire Seymour, après tout ce cirque, a été de citer le livre de Saïd, paru en 1978 [2005 en français], comme si c’était le dernier mot sur un massacre commis en 2015. Bien sûr, Saïd n’a absolument rien à dire sur ce qui s’est passé à Paris la semaine dernière. Mais le repli grossier de Seymour derrière l’argument d’autorité relève d’une rhétorique classique chez l’universitaire. Vous choisissez un auteur au hasard, vous brandissez de ci de là son livre sacré comme vous feriez de la Bible, et vous vous en servez pour taper sur la tête des contestataires, même si ce livre n’a rien à voir avec le sujet en discussion. Pas étonnant que les anglo-saxons de gauche se sentent spontanément si proches des Djihadistes : tous adorent assommer les gens avec des textes sacrés sans rapport avec le présent.

    Les deux groupes sont autoritaristes jusqu’à la moelle, fiers de leur capacité à gober le chameau et s’étouffer du moucheron. Je me souviens d’une universitaire à succès de Berkeley – je préfère ne pas la nommer, parce qu’elle est riche, célèbre, et notoirement vindicative – qui avait coutume de faire à peu près tout, sauf la génuflexion et le signe de croix, quand elle prononçait le nom sacré de “Jacques Lacan”, pour, quelques minutes après, prétendre que cette science n’était qu’un système de valeurs, ni plus ni moins valide que n’importe quel autre. Les universitaires dans les sciences humaines vous apprennent à gober de telles énormités.

    C’est pourquoi la sottise de telles réponses ne me surprend pas. Ni non plus la haine à l’état brut de la culture française. Vous vous habituerez à la longue. Pour une raison inconnue, la leçon de Saïd quant à la prudence qu’on doit avoir sur les autres cultures ne s’applique pas à la France. Le point faible de Saïd, c’est qu’il a écrit une longue complainte – “regardez comme cette méchante, vilaine culture occidentale dépeint mon peuple” – plutôt qu’une revue générale démontrant que c’est une règle de base des cultures de se représenter faussement toute autre culture perçue comme profondément différente de la leur.

    C’est pourquoi les “fans” de Saïd à la Richard Seymour ne voudront jamais respecter la France, même en rêve. Ils se contentent de foncer dans la condamnation, comme l’ont toujours fait les Anglais depuis des siècles. De fait, c’est d’une ironie piquante que les racines de la francophobie soient plus profondes et plus fortes dans la culture anglo-saxonne que celles de l’islamophobie.

    Ainsi, c’est juste une bonne vieille habitude que de se féliciter que des Français soient tués. C’est ce que nous faisons depuis Azincourt, et les plus réjouis sont – évidemment – ceux qui se posent en champions de “l’Autre”. Ces foutus crétins ne comprendront jamais que ce sont ces morts Français qui ont été ici métamorphosés en “Autres”. Cela ruinerait leur chance de conspuer ces cadavres, exercice préféré de cette sorte de minables autoritaristes, qui infestent les études en sciences humaines.

    Les Français sont haïs pour cette différence, toujours réduite, dans l’esprit des ploucs anglophones, à de la dépravation. Cela fait 200 ans que cela dure, depuis que l’Angleterre a réagi aux prétendus excès de la Révolution française par une lobotomie volontaire, de façon à se conforter dans sa vertu et à prévenir toute épidémie d’intelligence.

    Les Américains ont rejoint le programme, si bien que même Mark Twain, qui a pu parfois se hisser au-dessus de ses sacro-saintes racines anglaises, réduisait la culture française à la dépravation :

    « Dans certaines dépravations publiques, la différence entre un chien et un Français n’est pas perceptible. »

    La notion de “decency” a évolué depuis son époque, mais cette lamentable désapprobation anglo-saxonne n’a jamais bougé, n’est jamais allée, même pas en rêve, jusqu’à étendre le relativisme culturel à l’audace débridée de la littérature française. Pour autant qu’on le sache, elle est simplement dégueulasse, et mérite ce qui lui arrive.

    Je parle d’expérience, ayant pris part à The Exile, journal qui essayait de créer dans cette langue anglaise une Gauche “impie”, “diffamatoire”. Vous ne savez pas ce qu’est la haine tant que vous n’avez pas éprouvé la fureur des pieux universitaires de gauche qui ne vous oublieront jamais, parce que vous aurez tenté de communiquer dans un langage non conforme à celui de leurs séminaires. On pourrait croire que les Gauchistes de séminaire seraient heureux qu’on essaie de traduire leur sacro-saint jargon dans le langage populaire effectivement usité. Jamais de la vie ! Ce n’est acceptable que si si le langage “populaire” est aussi grotesquement daté, stérilisé, caricaturé qu’il l’est par un Jim Hightower – une espèce de populisme de gauche à la “ouaiche ! les aminches !”, quelque chose comme la parole d’un Will Rogers décérébré.

    Comme ces gens-là ne sont pas intéressés à atteindre un public élargi, mais seulement à garder le contrôle de leurs plates-bandes, telle salle de séminaire, avec ses canapés râpés sentant vaguement – ou pas si vaguement –, le Fantôme des Gens de la Rue d’Autrefois. Aucun autre territoire n’importe à ces gens-là, et la dernière chose qu’ils veulent entendre, c’est bien une langue qui prend le risque des accents du vaste monde. Nous autres, de The Exile, avons subi l’anathème si souvent, que nous allions fredonnant la célèbre chanson de MarK E. Smith, “ Elle les envoie tous au Diable / Elle, la toute petite rebelle ”, devenue notre signature, quand nous lisions les lettres de haine des universitaires de gauche.

    Non que nous redoutions que les épigones de Teju Cole ou Richard Seymour viennent au bureau avec des Kalach’ fumants. Ils n’ont jamais trouvé le chemin de Moscou [où était publié The Exile], d’abord ; et des gens comme ça n’actionnent pas la gâchette eux-mêmes. Ça pourrait souiller leur CV. Mais nous avons constamment reçu des menaces de mort émanant de gens bien plus dangereux, et nous savons que si d’aucuns venaient à passer à l’acte, nous serions “non pleurés” aussi agressivement que l’a été Charlie Hebdo.

    Des gens comme Cole et Seymour remplissent le rôle de curés. Dans la classe moyenne-basse et dans le Sud des USA, il y a des gens qui sont de vrais curés ; dans le Nord et pour la classe moyenne-haute, Cole et Seymour en sont l’équivalent séculier, prononçant publiquement leurs verdicts en langage sacré. Et l’une de leurs fonctions est l’oraison funèbre. Comme pour nombre d’éloges dédiés à ceux métamorphosés en “autres” par la congrégation, le but de leurs sermons sur ceux qui sont morts dans le massacre de Charlie Hebdo est de jeter l’anathème sur ces morts, d’interdire qu’ils prennent place en quelque lieu tenu, dans leurs cercles, pour sacré.

    Et comme dans ce cas la francophobie est mêlée d’hérésie, ils se sont montrés anormalement brutaux – si brutaux que mêmes les journalistes cyniques de Charlie Hebdo (du moins les survivants) en ont été choqués. Les Français, ces pauvres types confiants, ne savent pas à quel point ils sont haïs. Bien. Maintenant ils le savent. Ils ont été assez en colère pour publier ce communiqué, intitulé “Dear US Followers”, exprimant leur blessure et leur meurtrissure devant la bave US :

    « Vous n’imaginez pas à quel point la communauté française sur Tumblr se sent trahie. Nous nous sommes tenus à vos côtés très souvent ces dernières semaines, nous avons fait notre éducation quant à la situation aux USA, nous avons lu, nous avons appris. Maintenant, c’est notre pays qui est dans la peine, et je lis partout que Charlie Hebdo était un journal raciste, qu’ils l’ont cherché. »

    Bien sûr, personne n’est assez brut de décoffrage pour critiquer ouvertement les Français. La dérobade la plus fréquente est d’arguer que ces douze personnes ont été tuées parce que l’“Occident” tue dans le monde musulman. Seulement ce n’est pas ce que disent les tueurs. Les deux assaillants des bureaux de Charlie Hebdo ont hurlé “Nous avons vengé le Prophète”, et ce en raison des célèbres caricatures de Mahomet.

    Ils n’ont pas mentionné Gaza, les drones, ou l’Iraq. Leur rage ciblait les crimes verbaux et graphiques commis par les journalistes qu’ils ont assassinés.

    Les écrivains à la Teju Cole ont adopté la ligne Gaza/Pakistan/Iraq et ont tout simplement ignoré l’explication des tueurs eux-mêmes, aussi claire et simple qu’elle fût. C’est ce que nous appelons, dans l’industrie littéraro-critique, un point aveugle. Et c’en est un très intéressant, aussi vaste et aussi plein d’ordures que l’océan Pacifique. Pourquoi un critique anglo-saxon est-il incapable de rendre compte de la rage hystérique des djihadistes sunnites devant des transgressions purement verbales ?

    Parce que sa propre culture souffre de la même sensibilité hystérique aux transgressions verbales, et d’insensibilité à tout le reste. La culture anglo-saxonne a toujours eu en partage cette sensibilité hystérique aux transgressions verbales, là où la culture française se délecte depuis des siècles du jeu intellectuel avec l’obscénité, le blasphème, la profanation.

    Les cultures ne respectent pas la différence. Le boulot des cultures est de détruire la différence partout où elles la trouvent. On pourrait croire que les universitaires qui révèrent Saïd sauraient cela mieux que personne.

    Pourquoi, alors, les critiques anglo-saxons se voient-ils en champions de la différence lorsqu’ils applaudissent des djihadistes qui tuent pour des offenses verbales ? N’est-ce pas plutôt en raison de leurs propres présupposés sur la nature de la culture humaine qu’ils acquiescent aux valeurs culturelles partagées par les Sunnites et les Anglo-Saxons, et repoussent la culture française, affaiblie et diminuée ?

    Depuis plus de deux siècles, depuis que la prétendue brutalité de la Révolution française a effrayé l’élite anglaise, la culture anglo-saxonne est hostile à la “liberté” [en français dans le texte] française par rapport au sexe, au langage, à l’obscénité, à la laïcité. Les Français, en retour, caricaturent les Anglo-Saxons en cuistres hypocrites, accros aux démonstrations publiques de piété, pécheurs invétérés en privé, obsédés de surveillance du langage et de morale publique, mais indifférents aux souffrances de masse aussi longtemps qu’elles ne s’expriment pas trop brutalement.

    S’il vous est arrivé de vivre dans le monde musulman sunnite, cette vision française de la morale anglo-saxonne vous paraîtra familière. Les seuls pharisiens plus pharisiens que les Anglo-Saxons pourraient bien être les riches Sunnites. Car il n’y a pas plus de respect de la différence quand un “Combattant de la Justice sociale” [à l’anglo-saxonne] applaudit les meurtriers de Paris. C’est l’application d’une valeur partagée, aux dépens d’une culture affaiblie et marginalisée, la France.

    C’est la seule explication que je puisse trouver à ce fait étrange que la sensibilité culturelle de la gauche universitaire s’étende uniquement à l’Islam sunnite. Elle n’englobe pas, de toute évidence, les minorités Chiites comme les Azara d’Afghanistan ou du Golfe, et elle exclut spécifiquement les populations d’Afrique sub-saharienne, comme les Dinka ou les Nuer, victimes depuis des décennies d’un ignoble génocide perpétré par les Islamistes du Nord-Soudan.

    Il est difficile d’échapper à la conclusion que nous avons là deux cultures très semblables, toutes deux follement focalisées sur les transgressions symboliques, punissant une culture française affaiblie, qui s’est consacrée depuis l’époque de Sade à la transgression verbale vue comme une quête intellectuelle hautement valorisée (comme Sade dans ces lignes : « Imaginer d’encore plus grands crimes, attaquer le soleil ! »).

    Quand il s’agit de commettre de vrais grands crimes, Sunnites et Anglo-Saxons savent très bien faire, surclassant totalement ces pauvres vieux Français. Mais ils ont en partage une extraordinaire prudence, une infinie capacité d’oubli de tout, sauf des crimes parlés ou écrits. Et ils prétendent, les uns comme les autres, qu’“imaginer” des crimes, dans la phrase de Sade, est aussi nocif, si ce n’est pire, que les “commettre”.

    Ces crimes imaginaires, verbaux, sont les seuls qu’il est interdit d’oublier. Si seulement les ânes bâtés tels que Cole et Seymour avaient l’intelligence de voir qu’ils applaudissent d’authentiques meurtriers, qui agissent, en réalité, comme une bande de tueurs à la solde de cuistres victoriens…

  5. @Jibédé,

    Je ne sais pas si j’ai envie aujourd’hui, ici, d’accoler « islamophobie » et « Charlie Hebdo ». On a trop reproché à cet imbécile de Val les amalgames foireux, les raccourcis faciles pour balancer un peu vite des qualificatifs sans en discuter sérieusement derrière. Toujours est-il que les critiques contre l’hebdomadaire commencent aujourd’hui à dater, et viennent de milieux suffisamment différents – à commencer par certains de ses anciennes petites mains – pour que les membres actuels du journal ne les écartent pas toutes dédaigneusement et systématiquement d’un revers de main.
    Avec le drame qui vient de les frapper, il peut paraitre caduque, hors-sujet, inapproprié, hâtif, tardif (rayer la ou les mentions inutiles) de les aborder.

    En ce qui me concerne, je ne lisais plus Charlie (sauce Val) depuis des années pour une multitude de raisons plus ou moins bonnes. L’une d’elles est l’impression désagréable que l’hebdomadaire faisait de l’Islam – en dehors des charges contre les différents intégrismes religieux – un problème (il m’a toujours semblé qu’en France, on était à peu près capable de tous vivre les uns à côté des autres sans se mettre sur la tronche). Je ne parle pas ici des dessins, mais de la prose de son ancien patron et de ses amies, mesdames Fourest et Vienner. Leur petite partition fut jouée insidieusement pendant des années à un lectorat « de gôche ». N’oublions pas que jusqu’à l’éviction de Siné en 2008, Philippe Val vivait encore sur une crédibilité de chansonnier libertaire acquise sur les planches avec son copain Patrick Font, grâce aussi à la réputation de Charlie Hebdo et de la caution morale de la plupart de ses glorieux anciens.

    S’agissant de la liberté d’expression, c’est un sujet un peu ambigu chez lui. Sans même évoquer l’affaire Siné, avec Val, c’était « faites ce que je dis pas ce que je fais », puisque rue de Turbigo, les fort-en-gueule ont rapidement pris la porte (1).
    D’autre part, le journal s’est montré assez discret dans deux affaires survenues en même temps que leur médiatique procès dans l’affaire dite des « caricatures de Mahomet » : La condamnation des auteurs du livre « Tous coupables » et le procès en diffamation contre « l’association contre la casse de France Culture » (2) n’ont aucunement profité d’un quelconque strapontin que l’exposition médiatique démente dont a bénéficié Philippe Val aurait permis.
    Plus généralement, pour tester les limites de ce grand principe sacré qu’est lalibertédexpression© , il me semble que Charlie était, sous Saint-Philippe, assez loin de ce que Delfeil de Ton rapportait dans son article d’hommage à Choron en 2005 : « Tout numéro du journal (époque Choron/Cavanna) qui ne risquait pas l’interdiction, c’était pas la peine ». Or, des procès, Charlie en a relativement peu connus au cours des années 2000 (tout est relatif, cependant), même s’ils ont été plus spectaculaires. À part ceux représentant des barbus ou leur prétendu prophète, assez peu de croquis ont posé problème. A-t-on vraiment ricané de TOUT à Charlie Hebdo sous Philippe Val ? Je pense au contraire qu’on savait jusqu’où aller trop loin, à l’époque…

    Je ne saurais dire réellement si la publication a une micro part de responsabilité dans le climat délétère que nous connaissons depuis quelques années, et si oui, dans quelle mesure (les historiens s’en chargeront à l’avenir). Mais je ne peux m’empêcher de penser qu’une partie de la gauche – ou prétendue telle – s’est montrée sensible aux lubies de l’ancien chansonnier.
    Mon histoire avec Charlie est terminée depuis bien longtemps. L’hebdomadaire autoproclamé athée et anticlérical m’est apparu avec le temps comme un journal de curés moralisateurs.

    Luz aujourd’hui déplore que les dessinateurs de Charlie soient tous devenus des symboles malgré eux. Il considère le journal comme un « fanzine » de mecs dessinant des Mickeys. C’est oublier un peu vite, je crois, ce qui reste des « années Val » et de la place prise par l’hebdo depuis dix ans. Ce type a fait d’un journal libertaire un journal politique (ce qui implique de s’inscrire dans un camp et de tirer sur ceux d’en face), et un tremplin de respectabilité pour sa propre destinée.
    Avec Val, les vieux grognards ne pouvaient plus Être (3), et les jeunes ne pouvaient pas Naître (j’emprunte cette formule littéraire au « Rouge ou mort » de David Peace). Il faudra bien assumer un jour ce triste héritage, à défaut de l’avoir contesté avant.

    J’ai parfaitement conscience qu’il est dérisoire d’aborder ce sujet aujourd’hui, que ça n’explique pas, ni ne justifie, que des barjots massacrent des dessinateurs pour un ou deux vieux crobards même pas drôles. Val n’est évidemment pas responsable de ça. Mais je pense que ces remarques peuvent être ajoutées à « une histoire de Charlie ».

    (1) Pour ne citer que lui, le dessinateur Lefred-Thouron s’est vu censurer un dessin sur Patrick Font au moment de son incarcération pour pédophilie. Il est parti immédiatement. Citons également les Olivier Cyran, Mona Chollet, Delfeil de Ton…

    (2) Dans l’affaire du livre « Tous coupables » , l’auteur Clément Schouler, l’éditeur Michel Sitbon et le dessinateur Placid, ont été condamnés – certes à des sommes relativement modestes – pour outrage public envers les forces de police. En cause de la couverture représentant un policier avec un faciès porcin…comme tous les personnages croqués par Placid. À part une colonne de Willem et quelques lignes dans la rubrique copinage, silence radio du journal.
    Timidité également du traitement de l’affaire du procès en diffamation intentée par Laure Adler, alors directrice de France Culture, à « l’association contre la casse de France Culture » pour ce dessin : http://raccfc.free.fr/images/640_manif.jpg

    (3) Philippe Val, flanqué de Cabu et de quelques autres, relance le titre CHARLIE HEBDO en 1992, dix ans après la disparition du journal. Le professeur Choron, non convié à l’aventure, intente un procès pour leur interdire l’utilisation du nom, procès qu’il perd, dans des conditions que détaillera bien plus tard Delfeil de Ton (http://www.actuabd.com/+Affaire-Sine-Delfeil-de-Ton-remet-en-cause-la-propriete-du-titre-Charlie-Hebdo+). Le papier de DDT, non démenti et non contesté en justice, remet totalement en cause la version « officielle » de la fondation d’Hara-Kiri et de Charlie Hebdo par le seul Cavanna.
    Quant au mutisme des « anciens », qu’ils soient restés ou non proches de Choron, on peut émettre l’hypothèse suivante : d’abord Val leur a offert un nouveau moyen de publier leurs dessins et, en gros, de croûter. D’autre part, les qualités de gestionnaires de Choron étaient toutes relatives : Si ce dernier a remué ciel et terre pour trouver les fonds nécessaires à la parution de ses journaux – Charlie hebdo et mensuel, Mords-y l’oeil, La Gueule Ouverte, Surprise – ainsi qu’au paiement des nombreux procès, il semble avoir été beaucoup moins quant aux cotisations retraites de ses employés. La petite traitrise des anciens peut donc s’expliquer par ce biais, tout comme leur mutisme face au tout puissant Val. … Cavanna a attendu d’avoir 86 ans pour exprimer officiellement sa tristesse de voir ce qu’était devenu SON journal… En décembre 2008, Caroline Fourest profite d’une tribune dans le quotidien Le Monde pour pratiquer une sorte d’aggiornato de Charlie Hebdo, sonnant la fin officielle de l’esprit « bête et méchant » originel : « D’où la division au sein de la presse satirique entre, d’un côté, celle qui veut fortifier la démocratie et, de l’autre, celle qui s’en moque, voire celle qui la vomit. » Cavanna lui répond aussitôt «  De ce jour, le dessin de presse est devenu politique, exclusivement politique, comme si nous vivions en un monde où la politique prime sur toute autre activité humaine. Ce n’est pas drôle. Le dessin politique est rarement drôle, ce n’est là ni sa fonction, ni sa vocation. Tout au plus entendra-t-on : « t’as vu c’te binette qu’il y a collée ? » Donc, l’humour, désormais, consiste à parsemer le journal du plus grand nombre possible de faces grimaçantes de Sarkozy (…) L’humour politique n’est pas là pour amuser, ni pour tuer, il est là pour expliquer, faire comprendre (…) Les biens-pensants reprennent le dessus. Ce n’est plus chez les fils de garde-barrière, de maçon, de fille perdue, chez les petits boulots formés tout seuls qu’on recrute, mais chez les rigolos d’HEC, de Zig-Et-Puce ou je ne sais quel autre sigle à la con. Pourtant, en cet été 92, quand, dans l’enthousiasme, fut relancé Charlie Hebdo, l’accord était unanime, le propos clair et sans ambiguïté : l’esprit « bête et méchant » renaissait dans toute sa fougue, dans toute sa virulence, et s’interdisait, entre autres, toute complaisance envers quelque faction politique que ce fût. L’ambition, cette gueuse papelarde, était tapie au cœur même de cette joie. Charlie Hebdo est aujourd’hui ce qu’il est. Sûrement pas un journal « bête et méchant ». Pas encore bon chic bon genre, mais déjà estimé des gens en place. Des gens qui placent. La racaille rabelaisienne s’en est allée vers d’autres rivages. Ce que je fous là, moi, dinosaure bouffé aux mites, sur mon tas de décombres ? On me le fera bientôt savoir, je pense. »

  6. Bon, désolé j’y étais au rassemblement – assez loin des bongo sarko nhyaou et consorts pour occulter leur existence et pleurer la fin de mes larmes de crocodile moins seul . Une sorte de deuil peut être . J’ai été écœuré par la récupération – plus par le comportement des médias achetés corrompus que pas les politiques qui n’étaient que des clowns (malheureusement qui l’aura compris ? 🙁 …) mais bon je préfère penser a l’ampleur de la présence humaine qui était la . Je suis un scientifique pur et dur , pas mystique pour deux sous mais tout de même quelque chose se passait dans le silence.

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