Avec les copains profs d’Histoire-Géo,
autour des articles du Monde Diplomatique :
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– Vaccins : Les brevets, obstacle aux vaccins pour tous.
– Pour favoriser une entente des luttes – De Frédéric Lordon.
– Impasse des politiques identitaires.
– De Gérard Noiriel et Stéphane Beaud.
– Présidentielle : Vous avez dit unité ? – De Serge Halimi.
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Sujet Vaccins : Ce bon vieux discours de la soudaine « urgence sanitaire nationale » au sujet d’une maladie m’éveille toujours la même question :
C’est à partir de combien de malades, d’une même maladie donnée, que c’est du ressort de « l’urgence nationale » ?
Ou, question corollaire : à combien de malades se situe le seuil en dessous duquel ces patients ne sont pas une urgence, ou ne font pas partie de la nation ?
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Sur les sujets identitaires : C’est ennuyeux d’entendre l’exact même discours que la caricature médiatique qui semble totalement ignorer l’intersectionnalité des luttes (et leurs additions du coup), ou encore d’entendre parler de minorité concernant les femmes qui sont au fil des ans globalement la moitié de l’humanité.
J’ai soulevé le même problème de discours en commentaire d’une récente conférence gesticulée sur la chaine de Franck Lepage, et qui semblait lui aussi calqué sur la caricature qu’en font les médias, ou en tout cas sur une vision suffisamment extérieure aux luttes qu’elle en est parcellaire : Certes lutter « que » contre une domination ne règle pas les autres et a des chances de n’aboutir jamais à rien, mais franchement je ne connais pas de militant engagé dans une lutte unique, et c’est d’ailleurs je trouve le discours majoritaire chez les personnes qui se plaignent des luttes « pas urgentes au détriment de cette autre qui est vraiment plus utile » et qui souvent ne sont elles-mêmes engagées dans rien du tout et se contentent d’une position d’arbitre et de distribuer les points de bons engagement et pointer les mauvais. (Ce que font les médias à longueur de journée.)
Déjà il est globalement difficile de demander de faire un front commun concernant une « lutte globale » qui concerne des gens dont le comportement (au quotidien, et pas forcément consciemment, simplement par le paradigme actuel) peut justement être la cause des torts (quotidiens eux aussi) causés à d’autres, et par extension, devoir faire la leçon (généralement très compliquée) à des privilégiés d’un système pour leur faire comprendre qu’ils alimentent une domination, quand il est déjà compliqué de juste survivre face à cette domination.
En découle l’idée que les rapports de domination sont spécifiques, et appellent des moyens de lutte spécifiques, quand bien même ils sont tous multifactoriels, mais que beaucoup se chevauchent -jamais totalement- et quand il y a chevauchement, les militants sont les premiers à sauter sur l’occasion de justement réunir les forces pour détricoter un millefeuille de discriminations, d’habitus, de privilèges et d’intérêts, de cibler les racines, et de fabriquer les outils et moyens de luttes adaptés.
Un exemple tout bête, et pas récent, mais qui pour moi est assez symptomatique : L’afro-féminisme, qui est perçu par les personnes qui n’ont même pas en amont compris ce qu’était le féminisme (en dehors de la télé) ou qu’il y a plusieurs féminisme (dont certains opposés entre eux sous bien des aspects), alors qu’il recoupe aussi bien les dominations de genre, de classe sociale, de race (au moins sociale), d’appropriation ethnique, d’accès aux circuits d’éducation (même en France métropolitaine) ou de travail, les violences diverses (policières, ou même obstétricales et gynéco, qui amènent une nouvelle notion de consentement médical jamais abordé) et qu’à mon sens c’est plus à voir comme *la notion de sauvegarde d’espèce parapluie en écologie* plutôt qu’en morcellement militant toujours plus petit et impuissant. (Et j’aurais pu aller plus loin car les groupes que je suis y ajoutent la question des enfants étrangers adoptés en France et les personnes handicapés.)
Évidemment que tout groupe militant aimerait faire front commun pour tout régler en claquant des doigts, mais le principe de réalité ne fonctionne jamais comme sur le papier, l’inertie sociale est massive, et le pouvoir des personnes qui ont intérêt à ce que ça ne change pas est plus important.
C’est pourquoi aussi par exemple qu’au sujet de « l’éducation féministe », il est courant de dire que c’est déjà compliqué d’organiser une cohésion entre femmes, et qu’elles n’ont pas le temps d’expliquer (de faire la leçon) aux hommes, et que dont les alliés militants hommes sont invités à faire leur part de lutte « dans leur rang » (sachant qu’on voit encore quelques zélotes « » »féministes » » » hommes qui pensent encore qu’ils s’agit pour eux, grands chevaliers, de sauver les femmes…).
Ces luttes (condamnées à se renouveler continuellement à cause du pouvoir capitaliste qui lui-même change continuellement) en sont encore à la phase d’élaboration, tout en continuant de diffuser les fondamentaux (qui ne changent jamais, eux, mais ce n’est pas ce que les néophytes peuvent entendre facilement), jusqu’à atteindre une masse critique qui peut basculer via un incident de l’ordre de ce que la lutte dénonce pour finir de décoller quelques paupières. (Quand ça peut être diffusé, et là les nouvelles voies médiatiques d’internet changent un peu la donne.)
C’est délicat d’expliquer aux militants qu’ils ne font pas comme il faut, ça revient (un peu) à dire que c’est de la faute des abstentionnistes ou des pro vote blanc si le FN grimpe aux élections.
Bref… c’est décousu et rempli de raccourcis et d’approximations, le sujet est dense et tentaculaire, mais bien plus complexe que simplement résumer à « vous vous ostracisez par vos luttes identitaires, veuillez cesser ».
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Heureusement que les militants (hors caricatures télévisuelles) n’ont pas attendus que Lordon (découvre ?) leur dise de faire converger les luttes pour bosser sur l’intersectionnalité…
Mais encore une fois, principe de réalité : c’est délicat de demander la bouche en cœur à (par exemple) des femmes féministe (donc avec une très probable proportion ayant subi agression voire viols) de se rallier à un mouvement écologiste si dans les rangs il y a des harceleurs voire des violeurs (parfois notoires)… Et là encore une fois, il n’est pas possible de dire à ces femmes qui ne viennent pas « vous pourriez faire un effort », et ne rien dire aux hommes pas clean.
Mais : on ne peut pas non plus attendre que tout le monde soit super clean entre eux pour mener une lutte globale, donc la lutte se mène où les gens ont le plus bossé, et c’est souvent lié à leur propre vécu, et la lutte global c’est la somme de tout ces groupes, surtout si le rayonnement de leurs luttes se chevauchent.
Sincèrement, je suis militant antispéciste depuis bientôt 14 ans, et c’est cette lutte primordiale (chez moi) qui m’a amené (surtout sortit de mon faux statut de neutre spectateur du monde) aux luttes féministes, anti-racistes, LGBT, contre le validisme, à détricoter l’occidentalo-centrisme, l’exploitation des pays pauvres, le capitalisme, la lutte des classes et même la politique tout court. Et je les embrasse toutes, et je ne suis pas le seul du tout. En revanche nous sommes encore peu nombreux à diffuser la notion d’addition des domination, et donc d’intersectionnalité des luttes, et les médias dominants mènent une certaine lutte contre cette notion-là, justement.
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Tu le dis toi-même JB : « Un arabe pauvre, c’est un arabe. Un arabe riche c’est un riche ». Bin oui, un arabe pauvre, il sera pas tabassé voire tué parce-que pauvre, et il subit plus qu’un blanc pauvre, même si ce dernier est aussi exploité et malheureux. Les dominations s’empilent et se marient à merveille, mais je pense que c’est un peu une illusion (de l’ordre du grand soir) de croire que la lutte contre les inégalités de classe est une espèce parapluie qui corrigera tout le reste.
Et quand bien même, bin d’ici là, (pour schématiser) les femmes noires pauvres et handicapées souffrent et meurent plus (et différemment) que les femmes noires pauvres valides, qui souffrent et meurent plus (et différemment) que les hommes pauvres noirs, qui souffrent et meurent plus (et…) que les hommes blancs pauvres, qui meurent plus que les hommes (blancs ou noirs) riches…
J’ai l’impression que dans cette émission, la notion d’addition des dominations est un impensé. Et réduire les rapports de dominations sexistes ou raciaux à des « préjugés » est aussi un peu un piège je trouve : il y a des intérêts de la part des dominants, même s’ils peuvent être inconscients. (c’est d’ailleurs le propre d’une domination systémique que de ne pas être perçu comme un privilège, parfois même par beaucoup des membres qui la subissent).
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Quand André dit « Je me suis toujours battu contre les préjugés raciaux, *mais il faut aussi se battre contre les préjugés sociaux* » c’est un préjugé : ça sous-entend qu’un militant ne peut lutter que contre une seul chose à la fois. C’est en ce sens où je dis que c’est faire le jeu des médias (et donc du désir de séparation des champs) , des engagés dans rien mais arbitres, et des ignorants du militantisme que de diffuser ce discours.
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Embryon de réponse : Grand merci à toi d’avoir pris la peine et la plume.
C’est ce que j’invite les auditeurs-trices à faire.
Oui, les sujets sont vastes et méritent des encyclopédies. Alors je vais ici un peu divaguer…
Sur ton dernier point : André a été, et reste un militant anti-raciste. Et également anti-sexiste. Et aussi pour bien d’autres luttes : Viet-Nam et Cie … Ils n’étaient probablement pas nombreux les hommes qui dans les années 60-70 luttaient pour le Planning Familial. Bien que retraité, André reste de toutes les luttes sociales.
Je suis cependant moi même en léger désaccord avec certaines de ses analyses dans l’émission. Par exemple, je n’adhère pas à son raccourci qui amalgame Malcom X avec les Black Panthers dans un même grand sac estampillé « black power ». Les Panthers n’étaient pas « anti-blancs »…
Après, pour être très lapidaire, je crois que l’analyse de mon ami André est effectivement celle d’un « mâle blanc Gaulois, hétéro, cisgenre, à pouvoir d’achat de retraité de l’éducation nationale ». C’est surtout le point de vue d’un marxiste pour qui la lutte des classes stratégiquement prioritaire sur toutes les autres.
Ceci dit, il est bien normal qu’une « minorité » s’organise, se défende et lutte quand elle est menacée ou attaquée. Et il est certain qu’on peut parfois attendre longtemps une aide extérieure, voire « intersectionnelle ».
Bref, on peut bien alourdir notre bilan carbone en écrivant sur ces trucs là …
Jibédé – Producteur de l’émission.