Libération : 16 Janvier 2006.

Logo LibéLe remix de Sarkozy ne fait rire ni la Sacem ni les « Inrocks« .

Le titre a été écarté d’une compile de l’hebdo. Censure selon ses auteurs.

« Tous les ans on met une chanson gag dans la compile des Inrocks, les autres années, les gags faisaient plus l’unanimité que celui-ci« . Le « gag » symptomatique dont parle le journaliste Daniel Beauvallet s’avère être un remix caustique des discours de Nicolas Sarkozy intitulé Tous les tizenfants, un titre qui n’apparaît finalement pas sur la compilation CQFD (Ce qu’il faut découvrir) consacrée à la découverte des jeunes talents français sortie le 28 décembre. «On nous a appelés pour nous dire qu’on était sélectionnés, le titre avait beaucoup plu à Monsieur Beauvallet« , expose Polémix, avant d »être retoqué. Un revirement qu’ils attribuent à un avis défavorable d’un responsable juridique de la Sacem, estimant que «le titre n’est pas diffusable». Raison invoquée, «le montage des propos de Nicolas Sarkozy rappelleraient les crimes nazis, la sélection d’êtres humains».

«Faire rire» : «C’est absurde s’insurge Polémix, c’est juste un jeu de montage avec les bouts de phrases que j’ai récupérées, je n’ai pas cherché à faire une parabole de l’extermination nazie. Notre intention n’est pas d’insulter, mais de faire rire». Animateurs d’une émission sur Radio Béton à Tours, les comparses sont passés maitres dans l’art du collage politico-rigolo en vogue sur le net, atomisant et recomposant les discours des politiciens jusqu’à leur faire dire les choses les plus grotesques ou les plus ignobles : «On recycle les déchets médiatiques, les petites phrases qui font l’actu puis sont rejetées par les médias, on fait de la contestation joyeuse et thérapeutique, explique Polémix qui parle de «censure».

La Voix Off tempère, parle plutôt «d’autocensure» : la Sacem – partenaire du concours – qui «fait peur», et «les Inrocks qui se dégonflent». «Pas étonnant, la peur et la censure sont dans l’air, analyse la moitié du groupe dans un manifeste envoyé par mail. «La peur répercutée par les médias est l’arme des idéologues de tous bords. Le rire, est le seul moyen d’arrêter d’avoir peur», écrit-il. «Pasticher, parodier, se moquer des hommes politiques et des médias est un acte politiquement sainTous les tizenfants a d’ailleurs été diffusé sans heurts sur les ondes de Radio Nova ou d’Europe 1 : «Chez Ruquier, tout le monde avait trouvé ça drôle»…

«Pas d’interférence». La Sacem se dit elle «choquée de se voir accusée de censure». Et affirme «qu’en aucun cas elle n’interfère sur le contenu des oeuvres». Aux Inrockuptibles, on s’étonne que l’histoire ait pris un tel tour et on avance des arguments artistiques. «Polémix et La Voix Off étaient effectivement parmi les 80 préselectionnés sur les 7000 démos envoyées. Ces 80 titres ont été soumis à la rédaction musique qui en a sélectionné 20« , explique Laurent Lafon, responsable promotion. «Chaque journaliste a choisi ses favoris, un seul a voté pour ce titre« , résume t-il. «L’avis de la Sacem n’a a aucun moment interféré avec le processus, le morceau a été jugé uniquement sur ses qualités artistiques». Pourquoi alors avoir sollicité la Sacem ? «Etant donné les délais très courts, on a envoyé des documents légaux aux 80 préselectionnés, on vérifie qu’ils ont bien obtenu l’accord des ayants droit, notamment pour l’utilisation de samples» précise Laurent Laffon. Le cas du remix sarkozien s’avère problématique : «J’ai demandé conseil à la Sacem sur l’utilisation d’échantillons de voix d’hommes politiques, parce que c’était atypique et que je pensais que ça pourrait poser problème s’il avait été retenu», se défend Jean Daniel Beauvallet, chargé de la préselection.

«Qu’est-ce que ça veut dire ?« , interroge Polémix, « il faudrait demander l’autorisation aux hommes politiques d’utiliser leur voix ? Si on se met à considérer Sarkozy comme Brassens !». Le département juridique de la sacem ne répond pas sur ce point précis, mais pointe les risques de diffamation, et les condamnations qui s’en suivront à coup sûr en cas de diffusion. «Bon, le responsable a pris ça au pied de la lettre. Mais ce conseil, on n’a pas eu besoin d’en tenir compte« , insiste Jean-Daniel Beauvallet, « et même si le morceau avait été retenu, on serait passés outre, il est clairement parodique, je l’ai d’ailleurs chroniqué dans les pages du magazine. Quant à Sarkozy, on est pas les derniers à avoir envie de le critiquer».

Marie Lechner.

(1) www.lesinrocks.com/inrocks/galerie/cqfd2006