Chers amis, vous qui suivez cette émission de radio,
le flot de nos programmes hebdomadaires s’est tari à la fin de l’année : J’étais en deuil, affligé d’un profond chagrin. Evidemment, quand on devient ami avec un gars né en 1922, il ne faut pas s’étonner…
Notre ami le résistant Pierre Alban-Thomas, – nom de maquis : Pat – a choisi de nous quitter le 20 décembre 2016. Ses obsèques ont eu lieu après Noël.
Pat -27 ans d’armée et le grade de Lieutenant-Colonel-, a refusé que son cercueil soit recouvert du drapeau tricolore, et refusé le coussin rouge avec ses médailles… ll n’a jamais pardonné à l’armée française…
Pour écouter les 11 émissions que nous avons réalisées ensemble, c’est ici. D’autres entretiens sont à venir…
J’ai écrit un texte bien scolaire que j’ai lu au cimetière. Ma voix n’a même pas chevroté à la lecture… tant j’ai pleuré les jours précédents. Mais je croyais entendre Pat râler de modestie devant ce laborieux éloge :
…
Pat tenait à la fois de la rose ET du réséda.
Chers amis, nous sommes ici réunis pour souhaiter un bon et ultime voyage à un homme qui a beaucoup voyagé.
Pierre-Alban Thomas, ses amis l’appelaient aussi Pat, son nom de résistant. Un résistant qui tenait à la fois de la rose et du réséda du poème de Louis Aragon : « Celui qui croyait au ciel, celui qui n’y croyait pas… »
En rencontrant Pat , j’ai -comme beaucoup- été immédiatement conquis par cet homme courtois et bienveillant… D’entrée de jeu été ébloui par le héros modeste, humble incarnation vivante de ce que notre Histoire de France a de plus flamboyant : La Résistance ! Pas celle du 7 juin 1944 : Mais celle qui démarre dès 1940, en un temps où tout le monde pensait invincibles les armées fascistes d’un empire qui prétendait durer 1000 ans, époque où nombre de Français pensaient trouver refuge sous la protection d’un maréchal félon !
Mais Pat et quelques autres naïfs urluberlus n’étaient ni de cet avis, ni de ce bois là. Des fous, de dangereux idéalistes qui refusaient de se plier à la réalité… Et bientôt des terroristes !
Au-delà l’aimable statue du commandeur, entre l’héroïque aura toute droit sortie d’un livre d’Histoire, et la posture de l’humble monsieur, j’ai tout de suite aimé cet homme accueillant, gentil, malicieux, à l’esprit vif, et ouvert, qui m’a fait l’honneur de son amitié, en toute simplicité, sur un rapport d’égalité. J’ai aimé sa classe, quasi noblesse mâtinée d’une sincère humilité. Pat ne m’a pas invité à son culte, mais bien à un échange confiant entre deux êtres humains qui ont rapidement pris plaisir à se fréquenter.
Celui qui croyait au ciel, Celui qui n’y croyait pas
Tous deux adoraient la belle, Prisonnière des soldats
Lequel montait à l’échelle, Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel, Celui qui n’y croyait pas
Pat était les deux à la fois. Pendant toute sa vie, cet athée qui espérait le paradis -mais social et sur terre-, questionnera aussi son sens du spirituel. Dès son adolescence, Pat sait que son coeur est rouge. Même s’il se définissait comme « membre du plus grand parti de France : celui des déçus du communisme », Pat a jusqu’au bout espéré la République Universelle, la Justice sociale et la Fraternité…
Et malgré les désillusions, ce cœur de 94 ans est au fond de lui resté rouge jusqu’à la fin. Rouge… et vert aussi. Car Pat était amoureux de la nature, et fasciné par son mystère. Ce qui, dans les années 90-2000, le poussera à participer à l’implantation d’un parti écologiste en Loir et Cher…
Pat avait depuis longtemps compris que le seul combat valable que doive désormais mener l’humanité, c’est celui de la défense de cette planète que nous devrions traiter -non pas comme un dépotoir ou un champ de bataille- mais comme un jardin que nous avons emprunté aux enfants et à ceux qui ne sont pas encore là.
Qu’importe comment s’appelle, Cette clarté sur leur pas
Que l’un fut de la chapelle, Et l’autre s’y dérobât
Celui qui croyait au ciel, Celui qui n’y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles, Des lèvres du coeur des bras
Et tous les deux disaient qu’elle, Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel, Celui qui n’y croyait pas
Pat est né en 1922 dans un milieu modeste. Sa mère est institutrice de culture protestante. Son père, – qui travaille dans le commerce -, est un militant communiste de la première heure qui participe au Congrès de Tours de 1920 ! Mais ce père révolutionnaire meurt alors que Pat n’a que 4 ans.
Déjà athée, le jeune garçon sera par la suite éduqué par Monsieur Moreau, instituteur de culture catholique qui lui transmet notamment son amour de la nature. Pat s’inspirera toute sa vie de cet éducateur tolérant, droit et bon. Jeunesse entre valeurs socialistes et chrétiennes : Déjà la rose et le réséda.
Quand les blés sont sous la grêle, Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles, Au coeur du commun combat
Celui qui croyait au ciel, Celui qui n’y croyait pas
Du haut de la citadelle, La sentinelle tira
Par deux fois et l’un chancelle, L’autre tombe, qui mourra
Celui qui croyait au ciel, Celui qui n’y croyait pas
Pat a d’abord été un authentique résistant, -affilié dès 1940 au Réseau du Musée de l’Homme-, puis, en 1943, il devient guérillero FTP formé dans un maquis des Pyrénées dirigé par des antifascistes… allemands ! Ironie de l’Histoire…
De retour en Loir et Cher Pat sera chargé de monter un maquis FTP dans notre région… Jusqu’à la fin il pensera à ses amis, copains, et camarades de résistance arrêtés et assassinés par les fascistes…
Ils sont en prison, Lequel, A le plus triste grabat
Lequel plus que l’autre gèle, Lequel préfère les rats
Celui qui croyait au ciel, Celui qui n’y croyait pas
En 1945, Pat devient militaire de carrière, et en tant qu’officier, participe à la bataille d’Allemagne, puis aux guerres coloniales d’Indochine et d’Algérie. Pat ne se destinait pas au métier des armes. Il était instituteur quand la guerre éclate en 40. Cet ancien élève de l’Ecole Normale -qui a fini Lieutenant-Colonel- m’a souvent dit que plutôt que de devenir soldat professionnel, il aurait aimé devenir professeur d’agriculture. Enseigner la vie plutôt que la mort.
Son courage, sa lucidité et notre douloureuse Histoire de France l’ont amené à en décider autrement : Maquis, puis presque 30 années d’armée, dont une douzaine à faire de sales guerres, comme le sont toutes les guerres.
En 1945, l’ex-maquisard FTP, sympathisant communiste -bien non encarté- estime souhaitable qu’un fils du peuple comme lui devienne officier, pour mieux veiller sur la République. Et mieux veiller sur les enfants du peuple qu’on envoyait sous les drapeaux pour y faire d’injustes guerres coloniales… Car jusqu’en 1945, dans l’armée française, les hauts grades étaient essentiellement réservés aux nobles et aux bourgeois. C’est la gloire de la Résistance qui permet à des « fils de personne » comme Pat de pouvoir dépasser les petits grades. C’est donc par conviction républicaine que ce fils du peuple devient officier dans une armée de caste où il sera parfois très isolé.
En 45, on lui avait vendu qu’il partait en Indochine pour en chasser les Japonais… Ce ne sont pourtant pas les soldats nippons qu’on l’a envoyé combattre, mais d’autres résistants luttant eux aussi pour leur indépendance contre un occupant étranger. L’histoire se répètera en Algérie dès 1954.
Un rebelle est un rebelle, Deux sanglots font un seul glas
Et quand vient l’aube cruelle, Passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel, Celui qui n’y croyait pas
En Indochine, puis en Algérie, l’ex-résistant FTP n’acceptera jamais d’être à son tour devenu un occupant combattant d’autres résistants…
Répétant le nom de celle, Qu’aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle, Même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel, Celui qui n’y croyait pas
Pendant toutes ces années de guerre coloniales, de 46 à 62, Pat sera déchiré entre ses convictions philosophiques et politiques, et sa loyauté à l’armée de cette République qu’il avait contribué à rétablir en combattant les fascistes allemands… et français. Pat prendra souvent le risque de faire ce qui lui semblait « juste » et « humain ».
Quitte à échouer. A se faire mal voir de ses pairs et de sa hiérarchie. Quitte même à y risquer sa vie, et très certainement sa carrière militaire entravée du fait de ses courageuses prises de position.
Dans les années 90, Pat sera l’un des rares officiers à avoir le courage de témoigner sur les crimes de guerre et les tortures dont il a été témoin, et parfois acteur. Il savait qu’aucune guerre n’est propre. Que toutes les armées commettent des crimes. Et l’ex-résistant a cruellement souffert qu’en Indochine et en Algérie, l’armée de la République commette des Oradours, des Tulles et des Maillés…
Certains lui ont amèrement reproché d’avoir témoigné contre ces crimes de guerre. Mais comme le disait Pat : « Ce qui est criminel, ce n’est pas de parler du crime… Mais de l’avoir commis ».
Il coule il coule il se mêle, À la terre qu’il aima
Pour qu’à la saison nouvelle, Mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au ciel, Celui qui n’y croyait pas
Pat était tout le contraire d’un Tartarin fou de guerre se gargarisant d’exploits imaginaires… Humble. Précis. Préférant s’abstenir de récit plutôt que de prendre le risque d’inventer, des décennies après les faits, il est resté hanté par les dilemmes, désarrois et remords qui ont jalonné son parcours militaire. Face à l’absurde horreur du rouleau compresseur de la guerre, il s’est souvent senti impuissant, inutile… Peut-être même lâche ? … Courageusement, il ne s’est pourtant jamais résigné, même quand tout semblait perdu. C’est justement bien là qu’est la première des victoires. Et le cœur de son héritage.
L’Histoire de cet homme juste et courageux nous invite à l’éternel esprit de Résistance contre la barbarie et l’injustice sociale. Conscient que dans un monde difficile, rien n’est jamais parfait… à commencer par soi même.
Que face à l’abîme, nous sommes tous responsables, et qu’il vaut toujours mieux choisir de résister, -même maladroitement-, plutôt que de ne rien faire.
Cher Pat, l’exemple de ton courage, de ton humanisme, de ton amour des autres sont des lumières propres à faire reculer l’obscurité qui semble tomber sur nous, plus de 70 ans après la longue nuit qui a englouti 4 années de ta jeunesse. Terribles années de combat, mais qui ont peut- être aussi été tes plus belles ? Car entre 40 et 44, c’était « simple » : tu étais clairement dans le bon camp.
Nous sommes infiniment attristés par ton départ, mais au moins, comme le soldat que tu étais, auras-tu toi même choisi le moment de prendre congé de nous, comme l’homme libre, droit, juste et élégant que tu as toujours essayé d’être dans ce monde compliqué et violent, un monde où rien n’est encore perdu… grâce à des gens comme toi, qui nous inspirent.
En pensant à toi, beaucoup ont l’image d’un jeune homme au regard lumineux… enfermé dans le corps d’un aimable vieux monsieur. Combien de fois t’ai-je entendu t’étonner de t’être si vite retrouvé dans la peau d’un quasi centenaire ?
Mais si tu as quitté cette enveloppe, tu restes parmi nous de par ton héritage. Car ton histoire nous rappelle que même lorsque tout semble perdu, on peut toujours -comme tu l’as fait dès 1940- dire « non », et gagner le combat contre ce qui semble pourtant inéluctable… avant d’entamer le combat suivant.
Celui qui croyait au ciel, Celui qui n’y croyait pas
L’un court et l’autre a des ailes, De Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle, Le grillon rechantera
Dites flûte ou violoncelle, Le double amour qui brûla
L’alouette et l’hirondelle, La rose et le réséda
Ton héritage, il est notamment incarné dans cet outil -qu’avec bonne volonté et huile de coude-, tu as -dans les années 90- construit avec tes camarades maquisards du Loir et Cher, camarades d’ailleurs issus de toutes les tendances de la résistance : des FTP, à l’Armée Secrète. Cet outil, c’est le Musée de la Résistance et de la Déportation de Blois dirigé avec passion par Laurent Quiliquini, son conservateur et animateur. Un lieu où au delà du devoir de mémoire, on cultive surtout le devoir d’Histoire.
Car si la mémoire est essentielle, elle est changeante émotionnelle, versatile, manipulable… La mémoire est elle-même un objet d’Histoire : Mais l’Histoire, elle, ne se nourrit pas de souvenirs fluctuants : l’Histoire ne se construit pas avec des opinions, mais avec des faits : et les faits sont exposés au musée dont nous avons hérité.
Au fur et à mesure que s’en vont ses fondateurs, s’élève une nouvelle garde pour conserver et mettre en valeur cet indispensable lieu d’Histoire ET de mémoire qui nous a été transmis, et dont nous comptons bien prendre soin. Nous les « jeunes », jouissons de la chance de ne pas avoir eu à combattre les fascistes, du moins pas par les armes… Et, malgré l’actualité, souhaitons-nous de ne pas avoir à le faire. N’ayant pas eu à prendre les risques du juste combat de la Résistance, la moindre des choses, -pour nous, tes amis,- et j’oserai même dire tes enfants-, est au moins de conserver ce lieu qui symbolise cette lutte victorieuse.
Cher Pat, tu vas enfin pouvoir te reposer : tu ne l’as pas volé après presque 95 années d’une vie très remplie.
Merci à toi pour avoir été l’être humain que tu as été.
Salut à toi ami, toi qui tient à la fois de la rose… ET du réséda.
Jean-Baptiste Diaz – dit Jibédé