Les Inrockuptibles : 29 Mai 2007.

Logo InrockQu’est-ce qu’il raconte le petit Nicolas ? « Au service de la France, il n’y a pas de camp : il n’y a que les bonnes volontés qui aiment leur fric. (…) Je pense à François Mitterand qui mérite notre amour. (…) La France n’est forte que lorsqu’elle est branlée. Toutes les femmes branlez tous les hommes ! Le peuple, je le remplirai. Profond. »

On a entendu not’ prézident dire ces joyeusetés sur internet, à la radio, on en est certain, mais on jurerait pas qu’il les ait tout à fait prononcées. C’est toute l’habileté manoeuvrière et la liberté absolue des remixeurs politiques. Peut-être aussi leur principal pouvoir de subversion : faire du simulacre un acte de vérité, de la manipulation des sens, la seule réalité irréfutable. Pour ceux qui savent combiner la duplicité du son et un sens satirique, les élections sont bien sûr un terrain de jeux des plus fertile. Trafiquant slogans et petites phrases, accentuant la charge explosive des mots, les bidouilleurs numériques ont envoyé la politique à ses pratiques occultes, comme un miroir tendu. Ce faisant, ils sapent le fondement de tout discours public, qui est de tenter de faire croire ce que l’on donne à entendre. Grace à ces vengeurs masqués (pseudos absurdes et identités cryptées), on écoute mais on n’est plus sûr de rien. Ce qui, loin d’émousser la perception, l’aiguise et la taille en pointe. On a donc beaucoup croisé ces derniers temps les pirateurs en chef de La Voix Off et Polémix, auteurs du mini-pamphlet reproduit plus haut. Sur libération.fr, dans la bande à Bonnaud sur France Inter ou en rotation intensive sur le net. (…) L’accessibilité des logiciels de montage, la culture du sample ont donc favorisé les irruptions des chroniqueurs invisibles, descendants punky des chansonniers et des caricaturistes de presse. (…)

Pascal Mouneyres.

Télérama : 2 mai 2007

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z Nova Sarkomix

Sarkozik et Ségomix

Recyclage et détournement des interventions des politiques : du slam écologique.

Si par hasard, vous en avez assez des soirées électorales, des plateaux de télévision où se disent des choses insipides, et de l’attente des heures durant des déclarations des finalistes, voici une solution rock’n’roll, une manière de s’informer en s’amusant, quelques instants avant l’heure fatidique du 20 heures qui révèlera le nom du vainqueur. Pour cette Prési-Dance, titre de la soirée, Polémix et La Voix Off et l’équipe du sonar mixent des bribes de direct (annonces d’estimations, réactions, et bruits et exclamations) et des archives. Le tout sur tapis de musique électro. « On recycle les déchets médiatiques, expliquent les intéressés, les petites phrases qui font l’action. On fait de la contestation joyeuse et thérapeutique à coups de sampling« .

Après l’ère Chi-Rap et Ragga-ffarin, ils veulent entrer dans celle politico-surréaliste de Sarkozik et Ségomix. Les voix sont les bonnes, mais les paroles, triturées, coupées, répétées, mélangées à des ryhtmes et des musiques. « Moi je suis speedé. J’en fais trop, font-ils dire à Nicolas Sarkozy. Oui, je suis le sinistre de l’intérieur. L’immense majorité des gens qui vivent en banlieue sont des voyous… Vous en avez assez hein… vous en avez assez de cette bande de racailles. Eh ben on va vous en débarrasser… »

Pour l’instant, les DJ de Nova, qui officient aussi tous les jeudis soir sur Radio Béton (Tours), s’en prennent surtout au candidat de l’UMP. « Nous sommes farouchement épris de liberté, d’égalité, de fraternité, disent-ils, une devise que nous préférons à « travail, conso, bagnole ». Nous sommes conscients que nous ne pouvons pas faire rire tout le monde. L’art du comique est délicat. Mais nous revendiquons ce droit. » Si leurs interventions font parfois grincer les dents, elles ravissent le plus souvent. Et si l’absurdité de leur création n’était qu’un écho de l’ambiance générale ?

Anne-Marie Gustave.
Photo : Matthieu Istil

Le Temps : 19 mars 2007.

Logo Le TempsLa présidentielle française passe au mixer

MEDIAS. Au placard les gommes et les crayons. Le remix est l’arme de nouveaux caricaturistes politiques. DJ, web-artistes ou activistes, ils découpent et recomposent les discours politiques. Impertinence garantie.

«Si je suis élu président de la République, il y aura davantage de précarité ! Pour chacun d’entre nous ! Je propose un système perdant-perdant. Il ne faut pas avoir peur de la précarité. Qu’est-ce qui donne du sens à la vie ? C’est la trouille ! Je suis devenu une menace. C’est la catastrophe tranquille !» Non, il ne s’agit pas d’un discours de Nicolas Sarkozy. Mais ce pastiche contient bien d’authentiques morceaux de discours du politicien, remontés à l’ordinateur par les soins de la Voix off et Polémix, les deux remixeurs désormais officiels du quotidien Libération.

Aujourd’hui, le remix ne concerne plus seulement la musique. Derrière des ordinateurs ou dans des studios de fortune, le son et l’images sont recyclés à des fins parodiques. La méthode est simple : grâce à un découpage/remontage judicieux des bandes-son, les mots perdent leur sens premier pour devenir tantôt absurdes, tantôt symptomatiques de travers réels ou supposés. Depuis novembre, les «Editomix» sont disponibles sur le site internet de Libération.

Pour le journaliste Florent Latrive, qui a lancé le quotidien sur la Voix off et Polémix, ces montages sonores sont au site ce qu’une caricature est à un journal papier. Selon les estimations de Libé, la fréquentation de la page de la Voix off et Polémix serait d’environ 2500 visites par jour, avec une augmentation de 15 à 20% chaque semaine.

«Nous sommes deux DJ de droite, affirme Jean-Baptiste, alias la Voix off, interrogé par téléphone sur la démarche du duo. La subversion est aussi une marchandise, et nous avons constaté que notre production était en adéquation avec un marché porteur.» Cynisme entrepreneurial ? En l’entendant expliquer la salubrité de la «bouffonnerie» et ses effets bénéfiques, on peut avoir quelques doutes: «Je crois en la politique comme dans les journalistes. C’est le formatage requis par les médias qui transforme trop souvent les politiques en sinistres clowns. Voilà ce que nous mettons en évidence.» Derrière les formules, on sent pourtant transparaître la pudeur d’un militantisme qui refuse de dire son nom. Ce fut d’ailleurs en 2002 que ses activités ont pris de l’ampleur, suite à l’électrochoc du deuxième tour de la présidentielle Le Pen-Chirac. «Comme des millions d’autres, nous avons voté pour la droite par obligation.» A ce moment, Polémix, instituteur à la ville, le rejoint et ils deviennent, un peu par dépit, un peu par dérision, des «DJ de droite».

Bruno Candida, nom répertorié par les moteurs de recherche sur déjà plus de 58000 pages, est une autre figure du remix qui surfe la vague présidentielle sur Internet. Les petits films qui le montrent déclamant en play-back les discours de politiques de tous bords font fureur. Polémix et la Voix off collaborent avec lui, mais il édite aussi ses propres montages. Lui, c’est Stéphane Bellenger, le créateur qui se cache derrière Bruno. «J’ai inventé le personnage de Bruno Candida qui est à la fois chaque candidat et aucun d’entre eux. D’une certaine façon il est parfaitement crédible.» Entre les phrases absurdes prononcées sur la voix authentique des candidats et ses mimiques pleines d’une conviction parodique, Bruno provoque une impression d’inquiétante étrangeté. «Pour les mettre en play-back, j’essaie de faire des remix dangereusement réalistes, contrairement à la Voix off et Polémix qui sont plus dans la dérision. Cela demande pas mal de travail au niveau du montage. Et puis après, il faut se mettre en bouche le discours et le prononcer…» A force de les triturer, Stéphane Bellenger connaît bien la petite musique propre à chaque orateur. «Par exemple, je pense que Ségolène dit des choses sensées. Mais à chaque fois que je l’écoute, je me dis qu’il y a un problème. Au montage ça saute aux oreilles : elle place mal ses points et ses virgules, elle n’arrive pas à faire des crescendo cohérents.»

Systaime, alias Michaël Borras, était peintre, en son temps. Maintenant, il travaille l’image comme une matière brute à laquelle il veut faire cracher sa vérité. Une vérité plutôt effrayante: dans ses vidéos saturées, l’image des candidats dégouline dans l’enfer fluo d’un poste de télévision hystérique. «Au moins autant que de la politique, mon travail est une critique des médias, affirme Systaime. C’est à l’image et au discours que je m’attaque avant tout.» Héros d’un ballet insensé et clignotant, les politiques semblent mus par un discours absurde sorti de nulle part. «Face à la langue de bois, je ressens un grand vide, dit encore Systaime. Je ne fais que mettre ce vide en évidence.» Ses vidéos sont visibles sur son site (http://www.systaime.com/) et les sites d’hébergement vidéo les plus connus.

«Le WU-M-P rend hommage à Old Dirty Cheerak et ne regrette pas son absence de soutien dès dimanche à Masta Killa Sarkobot.» L’information apparaissait dimanche sur le site du WU-M-P. Né d’un croisement entre l’UMP et le groupe de rap new-yorkais Wu-tang-clan, ce collectif fait aussi parler à sa façon les politiques. Le titre ci-dessus a été généré automatiquement, à partir d’une dépêche authentique, par un programme informatique qui modifie certains mots: rappeur à la place de politicien, ninja pour citoyen ou MC pour maire, etc. Outre ce fil de dépêches surréalistes, on trouve sur le site du WU-M-P les tubes des bien nommés Old Dirty Cheerak, Masta Killa Sarkobot, Missy Alliot ou Ghost face Pass’kwa. Dans ces remix, les fragments de discours sont satellisés sur des boucles hip hop pour devenir des invocations hypnotiques. Le maladroit «We must continue working together», répété inlassablement par Missy Alliot, alias Michelle Alliot-Marie en visite d’Etat, sur un instrumental de rap gagne une troublante musicalité. Et grâce à des collages sur photoshop, tous les caïds du mouvement populaire apparaissent en photo en tenue adéquates (doudounes, casquettes, chaînes en or) et dans des poses résolument hip hop.

Que signifie l’irruption de ces détournements d’images et de sons dans la campagne française? Pour Sébastien Salerno, spécialiste de la communication politique à l’Université de Genève, ils s’inscrivent dans une tendance générale plus large qui se développe sur le Net. «La Toile suscite toutes sortes de modes de réappropriation de l’espace médiatique par les individus. Avec de petits moyens, on peut sans difficulté produire et diffuser des contenus audio et vidéo.» Le chercheur se réfère au land art pour avancer le concept, parallèle, de media art: «L’importance du politique dans la vie publique en France en fait une toile de fond sur laquelle se déroule la vie.» Est-ce à dire qu’on ne pourrait pas imaginer de remix politique en Suisse? «Ça n’est pas impossible, mais ici, il n’y a pas la même distance entre politiques et simples citoyens. Et la bouffonnerie, contrepoids au pouvoir, si vertical et catégorique dans la monarchie républicaine, est tout de même une tradition très française.»

Nicolas Goulart.

© Le Temps, 2007 . Droits de reproduction et de diffusion réservés.

L’Humanité : 14 Février 2007.

Logo HumaSouriez, ils sont enregistrés.

HUMOUR . Le duo Polémix & La Voix Off remixe et détourne les discours des hommes politiques. Un joyeux antidote à la langue de bois. Attention, ceci est un trucage…

Prenez le discours d’un homme politique. Hachez-le en mille morceaux. Recollez le tout, sans qu’il n’y paraisse, avec une bonne dose d’insolence, beaucoup d’humour et de l’esprit critique à discrétion. Rythmez le tout sur fond de musique électro ou dub. Vous obtenez un Chirap, un Balladub, un Sarkozik ou encore un MEDEF Metal. Le résultat est totalement hilarant, et la recette fait le succès du duo Polémix & la voix off (1). Au point qu’après un premier album, La Prési-danse, le concept se décline aujourd’hui en candidature à la présidentielle : celle d’un improbable Bruno Candida qui tend un miroir cruel aux aspirants à la magistrature suprême.

Féroces, ces drôles de remix tapent là où ça fait mal : dans la vacuité d’une novlangue politico-médiatique trop souvent déconnectée du réel. Si la droite est une cible privilégiée, la gauche en prend aussi pour son grade. Pas question, pourtant, pour ces deux Tourangeaux traumatisés par l’épisode du 21 avril 2002, de céder au « tous pourris ». Leur contestation se veut joyeuse et thérapeutique. « Nous avons beaucoup de respect pour la chose politique et journalistique, soutient la Voix off. C’est précisément ce qui nourrit notre indignation à l’écoute des tristes sires qui ont aujourd’hui la mainmise sur la sphère politique et médiatique ».

C’est en 1995 que le concept émerge, sur les ondes de Radio Béton, à Tours. Premier champ de bataille, la reprise, par Jacques Chirac, des essais nucléaires dans l’atoll de Mururoa. À chaque explosion, une émission. « Nous devons beaucoup à Chirac et de Gaulle, sourit la Voix off. Ce sont nos grands inspirateurs ». Et d’affecter l’allure du général en parodiant sa voix à la perfection : « Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant l’Europe ! l’Europe ! l’Europe ! ». Autre source intarissable d’inspiration pour le duo les innombrables raffarinades qu’ils citent aujourd’hui encore avec délectation : « La route est droite, mais la pente est raide… ». « Le fait de proférer de pareilles inepties révèle à quel point ces gens se sont affranchis du réel », souligne, plus sérieusement, la Voix off, en se remémorant les milliers de salariés qui avaient battu le pavé, en 2003, contre la réforme des retraites. Entre amertume et dérision, le jeune homme égrène les conquêtes sociales passées ces dernières années sous le rouleau compresseur des politiques ultralibérales. Sans ménager une gauche qui, a ses yeux, porte sa part de responsabilité. « Qui a dit que l’État ne pouvait pas tout face à l’économie ? Lionel Jospin, au moment des licenciements chez Michelin », rappelle-t-il.

La conviction de ces deux cyber-rejetons de dada : le rire, dans ce paysage politique sinistre, peut être une arme politique. « Les puissants ne craignent pas grand-chose, si ce n’est le ridicule et le rire des plus humbles, affirme la Voix Off. Le rire, c’est le début de la réflexion. Il peut être un moteur de la colère, une porte d’entrée vers la politique ». Et, c’est vrai qu’à l’écoute de ces impertinents montages, l’hilarité laisse vite place aux interrogations. La récurrence de certains mots ou expressions dont use Nicolas Sarkozy en dit, par exemple, beaucoup plus long sur sa vision que bien des analyses…

(1) www.polemixetlavoixoff.com.

Rosa Moussaoui